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datadatarecherche

Espaces personnels extensibles. Une zone intermédiaire, entre le privé et un accès restreint à l’intérieur du groupe, permettant de formuler et de partager en toute liberté les recherches en cours sans subir les contraintes d’une visibilité immédiate.

datadatablog

un blog-valise qui recueille des documents glanés ou créés pour réfléchir à la question du montage spatial lié ou non à la mémoire - et à l'oubli. Une méthode de travail collective rendue publique.

datadatarevue

DAtADAtA est une revue en ligne à lectures multiples, qui accueille les problématiques de la première année de recherche. Elle rend publics les différents travaux du groupe, augmentés de contributions extérieures originales, théoriques et plastiques. Sa forme, évolutive, permet d'explorer les relations entre textualité et montage visuel ; entre montage spatial (juxtaposition) et mémoire (accès).

Soirée DatAData invite DAtADAtA à la Gaîté Lyrique:

La soirée est construite comme une spatialisation du temps et une géométrisation de l'espace - numérique - de la revue dans le Centre de ressources de la Gaîté Lyrique. Il ne s'agit pas d'une exposition, mais d'un aperçu souple et rythmé des terrains et des objets de recherche du groupe.

datadataexpositions

Espace d'exposition à temporalité variable suivant les rencontres et leurs arabesques.

Depuis Octobre 2010, DatAData rassemble des chercheurs et des jeunes artistes dans la volonté de répondre aux enjeux esthétiques contemporains que soulèvent les cultures numériques, mais aussi d’accompagner l’évolution en cours dans les lieux d’enseignement de l’art, français et étrangers. En effet, à l’heure où il devient nécessaire d’inventer une conduite inédite pour la recherche artistique et de préciser des outils possibles au sein des écoles, DatAData constitue un espace expérimental de questionnement, de réflexion, de production et d’édition.

Notre manière de travailler ensemble se base sur l’autonomie et la liberté de chaque membre. Chacun mène sa propre recherche de façon individuelle tout en côtoyant et accompagnant celles des autres et tout en s’impliquant dans les différents projets de DatAData (éditions, archives, expositions, etc.).

DatAData est sous la direction de Catherine Beaugrand, artiste et professeur à l' ENSBA de Lyon, assistée par Madeleine Aktypi, théoricienne de l’art & des médias.

Le groupe est composé de huit jeunes artistes diplômés : Nicolas Baduraux, Anne Sophie Bosc, Elsa Bouladoux, Gaëlle Cintré, Samuel Dématraz, Nicolas Hensel, Mathilde Penet, Claire Perret, auxquels sont associés Fabien Steichen (art, 4ème année) et Ségolène Thuillart (art, 5ème année).

En partenariat avec le CREA, Centre de Recherches et d’Etudes Anthropologiques, Université Lumière Lyon 2 (Denis Cerclet), et le LIRIS, Laboratoire d'Informatique en Image et Systèmes d'information (UMR 5205 CNRS, de l'Université Claude Bernard Lyon 1 (Yannick Prié, Olivier Aubert).

DatAData 2011-2012

« computing without computer » | montage spatial et mémoire

La création de DatAData vient du besoin de recourir au temps patient de la réflexion face à l’environnement numérique où le changement rapide et l’adaptabilité permanente semblent de plus en plus s’imposer comme modes de faire et d’être dominants.

Comment tenir une mise à distance - sans ignorer le rythme des évolutions - afin de rêver à des raffinements possibles dans notre manière de penser et de créer ? Alors que l’espace de la création artistique est en risque de devenir plus normalisé que jamais à travers des outils préfabriqués et contraignants, à l'image des logiciels qui s’imposent à nous comme des formes exclusives de traitement de la matière numérique, notre groupe de recherche prend son départ dans l'idée que la matière en question est en fait questionnable et ré-organisable. La place des outils avec lesquels prennent forme nos créations et nos pensées demeure ouverte et reconfigurable.

Comment rendre compte de plusieurs flux d’images de différentes tailles, vitesses et proportions apparaissant sur un seul écran dans le même temps ? Quel type d’inconscient est en train de s’organiser à partir de ces formes d’assemblages visuels ? Est-il simplement optique ? Comment se produit l’évolution de l’interface humain-machine qui a répondu aux attentes économiques et idéologiques issues de la seconde guerre mondiale ? Qu’est-ce qui fait monde et quel type de subjectivité habite et bâtit ces espaces-là ? Comment se manifestent-ils dans d’autres champs de la création ?

 « Data data » est le nom que le Machine Architecture Group a inventé dans la construction du projet Aspen Moviemap pour désigner les données recueillies qui ne correspondaient ni à des éléments audio ni à des documents visuels, mais à des faits sociaux inclassables. Ces données données de la première base de données constituant une réalité virtuelle (1978) jouent avec l'exclamation la plus célèbre et libératrice de l'histoire de l'art : « DadaDada ! ».

DatAData affirme le collage de cette double référence aux deux univers et pratiques. A l’instar du projet Aspen Moviemap, DatAData aimerait contribuer à une cartographie d’idées et de pratiques contre toute reconstitution spatiale technologique de la réalité monolithique et unilatérale

Notre groupe veut participer à l'élargissement et à la diversification de l’histoire culturelle du numérique en proposant un entrecroisement de l'art avec l’anthropologie, l’ethno-informatique, la littérature, la philosophie, la poésie et l’histoire de leurs histoires, menant vers des créations plastiques aussi bien que théoriques. L'assemblage d’un tel corpus et la mise en place d’une telle pratique nous permettront de reconsidérer – ou non – nos rapports aux images numériques dans leurs modalités d’apparition, de circulation et de migration en ne négligeant pas les données culturelles issues des machines avec lesquelles nous les produisons.

Depuis le premier semestre de l’année universitaire 2010-2011, la série de séminaires qui s’est appuyée sur les univers (autant théoriques que pratiques) propres aux 5 chercheurs de champs disciplinaires différents et sur les recherches des 7 jeunes artistes a permis de dégager la thématique (et les enjeux plastiques) du montage spatial, qui a émergé en tant que question pour devenir un axe de recherche central et partageable par tous au sein du groupe.

C’est ainsi qu’il nous paraît opportun d’engager notre travail à venir en situant cette notion dans le contexte de la place et de la fonction de la mémoire dans la mesure où le montage spatial s’est constitué simultanément avec l’extériorisation de la mémoire intériorisée (support de l’inconscient freudien) jusqu’à la mémoire numérique, qui est, quant à elle, séparée physiquement du sujet.
Si les arts de la mémoire sont convoqués ici, c’est d’une manière qui volontairement s’éloigne des travaux qui ont marqué les premières décennies du web, comme ceux de Brenda Laurel référant à Frances Yates et à la diffusion des textes de R. Lulle, G. Camillo et G. Bruno. Notre approche se situe plutôt dans une appréhension de l'espace par l'humain et de l'humain par l'espace, non seulement réciproque mais souvent, voire toujours, simultanée.

La composition devient plus importante que le stockage ; le mouvement prend le pas sur la mémorisation ; le circuit fermé de la boucle (looping) s'ouvre au montage spatial. Loin de réduire la mémoire à une systématique de l’accumulation, nous la traitons plutôt comme une matrice mouvante de combinaisons encore peu expérimentées pouvant constituer une expérience de pensée et un art de faire à part entière. Computing without computer.

***

L’environnement numérique a une histoire qui ne se traduit pas par une simple chronologie en termes de progrès techniques. En effet, il n’est ni réductible au maniement des outils ni aux usages qu’ils proposent.

La culture numérique est faite de modes de communication et d’échanges d’information qui déplacent et redéfinissent les accès, les acquisitions et les diffusions des savoirs selon des méthodologies et des formes nouvelles.

Il est insuffisant de considérer qu’il s’agit du prolongement de technologies et de pratiques anciennes familières. La notion anglo-saxonne de digital literacy, savoir-lire-écrire, permet de mettre en évidence simultanément les relations avec les manières de faire issues des modèles classiques et les ruptures radicales qui surviennent en permanence. Bien que produit et producteur d’une culture du changement rapide de l’adaptabilité, le monde numérique conduit à des formes de raffinement nouveau du savoir-lire-écrire. Proposant à la fois des outils tout public, préfabriqués et normatifs, et les possibilités d’une grande flexibilité aux utilisateurs avertis, il est un champ ouvert à de nombreux malentendus auxquels participent aussi artistes et théoriciens de l’art.

Les processus artistiques mis en place avec les outils numériques ne peuvent pas rester innocents du cadre théorique et pratique de leur production. L’étude et l’analyse critique de manifestations déterminantes des années soixante et soixante-dix qui réunissaient artistes, architectes, musiciens, théoriciens et concepteurs des outils numériques dans des institutions artistiques nous semblent primordiales pour dégager un certain nombre d’enjeux. La réactivation de ces expositions revisitées depuis quelques années par certains curateurs à la fois en Europe et en Amérique du Nord témoigne de la nécessité de ce champ de recherche.
Comment se sont croisées les différentes expérimentations techniques et les avant-gardes artistiques dans les mêmes décennies ? Comment se sont-elles côtoyées et influencées dans les concepts et dans les formes plastiques ?

L’exposition This is Tomorrow qui s’est tenue à la Whitechapel à Londres en 1956, est un exemple particulièrement intéressant pour montrer cette dynamique. Celle-ci se voulait rendre compte des nouvelles avancées dans le domaine des technologies, des développements des médias et des communications en proposant des collaborations entre artistes, architectes et designers. La plupart des artistes faisait partie de l’Independent Group au spectre d’intérêts assez éclectiques, dont la science, la logique non aristotélicienne, la cybernétique, la sociologie urbaine, les nouvelles technologies et la culture populaire. L’exposition était divisée en douze sections dans chacune desquelles étaient associés un artiste, un designer et un théoricien. Chaque équipe devait produire une ambiance qui reflétait une vision du monde qui leur était contemporain. Les environnements allaient de structures purement architecturales à des collections d’objets et d’images se rapportant à la culture populaire. La section deux était dessinée par Cedric Price. Le Fun Palace se voulait être un environnement toujours changeant en réponse aux envies de ses usagers. Non réalisé, c’était un espace flexible et indéterminé, produit par des grues redéployant un ensemble de différentes parties selon les besoins, au moyen d’un système contrôlé cybernétiquement grâce à Gordon Pask appelé comme consultant. Le projet ne pouvait être vu dans son ensemble que d’un hélicoptère, la nuit avec le toit replié. Une configuration différente est montrée dans chaque dessin. La nomenclature architecturale habituelle (plan, coupe, élévation, etc.) est remplacée par des termes issus de la cybernétique comme sélection, assemblée, mouvement, contrôle, etc.
La cybernétique intéressait particulièrement les acteurs de l’exposition qui connaissaient les ouvrages de Norbert Wiener publiés à partir de 1948. N. Wiener y formulait les notions d’entropie, d’information et de rétroaction (feedback) comme bases du paradigme permettant de comprendre les processus biologiques, machiniques et sociaux.
La douzième section était celle qui traitait le plus directement de la théorie des systèmes et des communications. Le catalogue reproduit un tableau en trois colonnes qui classifie les moyens d’agir sur différentes surfaces. Cela commence par le fait de peindre avec des pinceaux sur des parois ou des toiles. En dernier ressort, il y a les machines à cartes, qui fabriquent des bandes perforées, et les bandes magnétiques créées par une série d’instructions et un moteur. C’est dans ce diagramme que sont énoncées les premières déclarations sur les ordinateurs et autres machines à computation comme moyens susceptibles d’être utilisés pour produire de l’art.
Étonnamment il était beaucoup question d’ordinateurs et de technologies inaccessibles et incroyablement pauvres au regard de notre situation actuelle. C’était avant tout une expérience de pensée - computing without computer.
Quoique la majorité des membres de l’Independent Group n’avaient pas à ce moment-là utilisé un ordinateur, et ne l’ont pas fait non plus ensuite, leur intérêt pour la technologie et les discours sur les technologies ont rendu possible l’émergence de pratiques artistiques interrogeant l’usage de l’ordinateur. Leur influence fut à la fois directe et diffuse. Ils ont créé un contexte dans lequel une telle recherche pouvait être considérée sérieusement.

Les cybernéticiens pensaient fonder une nouvelle discipline, capable d’englober toutes les connaissances, une science dédiée à la recherche des lois générales de la communication et à leurs applications techniques. Il s’agissait de transformer la conception moderne du sujet en modifiant son rapport avec la machine. La mémoire n’est pas la source de la subjectivité sur laquelle repose l’inconscient individuel mais un dispositif de stockage qui rend possible les circulations de l’information. L’ordinateur est une machine qui a une capacité de stockage illimitée virtuellement et peut ainsi prétendre à surpasser les capacités humaines. Le sujet est considéré entièrement impliqué dans un jeu communicationnel, sans intériorité. Seule compte la lutte contre l’entropie.
L’amnésie dans laquelle est tombée la cybernétique est paradoxale compte tenu de son influence au delà de son domaine présupposé. Paradigme du nouveau monde américain de l’après seconde guerre mondiale, la cybernétique s’est enracinée dans la pensée européenne par le biais du structuralisme.
Lévi Strauss parle de « convertir l’anthropologie en entropologie » (Tristes Tropiques, 1955). Dans l’Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss (1966), il cite directement N. Wiener en imaginant la création d’une « vaste science de la communication, basée sur l’application de raisonnements mathématiques à la linguistique ».
Jacques Lacan  place son séminaire de l’année 1954-1955 sous le signe de la cybernétique et des nouvelles machines à calculer. Il définit la cybernétique comme « une science de la syntaxe » et la parole est ramenée au code informatique.
« Les symboles sont plus réels que ce qu’ils symbolisent, le signifiant précède et détermine le signifié (…). Cette extériorité du symbolique par rapport à l’homme est la notion même du symbolique. (…) Le monde symbolique, c’est le monde de la machine. (…) Je vous explique que c’est en tant qu’il est engagé dans un jeu de symboles (…) que l’homme est un sujet décentré. Eh bien, c’est avec ce même jeu, ce même monde, que la machine est construite. Les machines les plus compliquées ne sont faites qu’avec des paroles. » (Le Séminaire II : Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, 1975).
Le structuralisme postule une extériorité totale du sujet à lui-même : quand le sujet s’exprime, c’est le langage qui s’exprime à travers lui.

Jacques Derrida retient de la cybernétique les aspects les plus radicaux, en reprochant à N. Wiener de ne pas être allé au bout des conséquences de sa théorie dans le brouillage des frontières entre le vivant et le non vivant. En conséquence, il pose l’écriture comme mode antérieur à toute séparation entre humain et non humain. « Le programme cybernétique sera champ d’écriture » (De la grammatologie, 1967).
Comme le dit N. Katherine Hayles, « la déconstruction est bien l’enfant de l’âge de l’information » par cette visée d’une radicale extériorité de l’écriture, qui est « cet oubli de soi, cette extériorisation, le contraire de la mémoire intériorisante, de l’Erinnerung qui ouvre l’histoire de l’esprit » (De la grammatologie, 1967). Même l’extériorité de la mémoire numérique peut être reliée au concept d’écriture : « Nul n’entrera dans ce lieu s’il a peur des machines et s’il croit encore que la littérature, la pensée peut-être, doit, n’y ayant rien à voir, exorciser la machine. » (La dissémination, 1973).

Sherry Turkle, dans son ouvrage Life on the screen rapporte longuement comment plus de vingt ans après avoir lu Lacan-Foucault-Deleuze-et-Guattari, elle les retrouve à l’œuvre dans le monde virtuel du web. Pour elle, l’ordinateur permet de donner corps aux théories structuralistes et post modernes.
Ainsi, la cybernétique, née à la seconde guerre mondiale, du contrôle militaire et de la guerre froide, a été assimilée par les critiques de la modernité et circule plus ou moins nommément à travers la quête d’une résistance subversive d’une gauche « autre-mondialiste ». Par l’abolition des frontières entre classes, sexes et races, émerge un mouvement où coexistent et se confrontent le socialisme féministe de Donna Haraway et la multitude d’ Antonio Negri.
Son influence prend la forme voilée des cyborgs, du cyberespace, de la cyberculture et de la cyberscience, comme un retour du refoulé qui demande à être considéré comme tel.

La plupart des idées et des productions des artistes, présentées lors de l’exposition Cybernetics Serendipity, qui s’est tenue à l’ICA à Londres en 1968 apparaissent datées aujourd’hui. Pourtant cette manifestation a été un moment décisif à l’intersection des histoires de l’informatique et de l’art et il y a eu de nombreuses tentatives pour la remonter entièrement ou en partie.
Le but était clairement de montrer un champ d’expérimentations et toute tentative de perspective historique ou d’évaluation était considérée comme hors propos. L’exposition et ses publications étaient essentiellement un reportage des courants contemporains et de leurs développements.
Cybernetics Serendipity permet de voir à quel point la plupart des usages actuels des ordinateurs étaient déjà réalisés ou anticipés, et comment un certain nombre d’impasses sont encore d’actualité malgré l’évolution spectaculaire en termes de capacités, performances et coûts des machines.
Pour Jasia Reichardt, commissaire de la manifestation, il y avait deux mouvements très singuliers, dans les années soixante, la poésie concrète et l’art numérique. Ils étaient tous deux traités dans les marges de l’art, comme des catégories séparées par les critiques d’art, les galeries et les lieux d’enseignement de l’art.
Aujourd’hui, elle considère que ces deux mouvements sont restés marginaux à cause de leur façon de transformer ce qu’elle appelle l’échelle. « L’échelle avait perdu son importance ». Un poème concret pouvait avoir n’importe quelle taille ainsi que les images générées par un ordinateur sans pour autant perdre leur principe actif.
Il est intéressant pour traiter cette question de spatialisation de commencer par rappeler quelques étapes de l’évolution de l’interface entre l’utilisateur et l’ordinateur.
Comment s’est mis en place le style standard conventionnel dit d’interface graphique qui utilise des fenêtres (icônes, menus et souris) qui fait qu’aujourd’hui, tout le monde utilise plus ou moins les mêmes modalités ?

Tout commence avec l’article « As we may think » (1945) de Vanevar Bush dans lequel il identifie le problème du chercheur face à la somme exponentielle des informations concernant son domaine. Comment stocker, classer et créer des liens à l’intérieur d’un corpus continuellement grandissant ?
Sa réponse fut le Memex, première machine à usage intellectuel personnel introduisant l’idée d’hypertexte. Le Memory Extender, qui n’était pas un ordinateur, reposait, en effet, sur le principe d’un bureau-bibliothèque contenant des microfilms, base de données personnelle et extensible. Le chercheur-utilisateur pouvait y stocker des enregistrements visuels et sonores ainsi que des annotations et construire des chaînes associant des documents. Ces chaînes pouvaient être partagées d’un Memex à l’autre. Computing without computer.

C’est donc à partir de cette notion d’hypertexte que, dans les laboratoires universitaires américains on a cherché à concevoir la traduction des opérations informatiques pour rendre possible l’interaction humain-machine de manière visuelle.
Le concept dominant pour l’interface graphique à manipulation directe pour tous a été imaginé par Alan Kay à Xerox Parc dans un article de 1977 élaborant le prototype du Dynabook, premier ordinateur portable (proche de l’iPad).
Le système actuel de fenêtres apparaît pour la première fois, avec menus déroulants et icônes.
Le choix graphique d’afficher textes ou images à l’intérieur de fenêtres répondait aux habitudes scientifiques de représentation d’un même objet sous plusieurs faces afin de mieux cerner sa nature. C’est devenu depuis une solution générique et persistante pour la circulation entre projets dans la même application et entre données de types différents d’un bureau à l’autre.
Se basant sur un monde visible bidimensionnel, le phénomène des fenêtres semble ne pas relever d’une dimension spatiale.

C’est aussi à partir de ce constat que la question de l’échelle avancée par Jasia Reichardt prend toute son ampleur et s’inscrit dans la logique des fenêtres en tant qu’espaces infinis et illocalisables et nous invite à repenser la spatialisation dans un aller-retour entre les écrans et les espaces physiques, notamment les lieux d’exposition. Computing without computer.

Lev Manovich propose la notion de montage spatial pour signifier la juxtaposition de plusieurs flux d’images de différentes tailles, vitesses et proportions apparaissant ensemble sur un seul écran, ce qui crée un montage visuel et sémantique. Le travail de montage consiste à concevoir et construire la temporalité et la spatialisation des images qui sont visibles ensemble, leur mode d’apparition et les relations qu’elles entretiennent les unes avec les autres.
Le procédé du compositing, un des modes majeurs de la fabrication de tout type d’objets numériques, réfère à la superposition des couches dans l’organisation d’une image mobile ou non. Le cinéma privilégie la relation temporelle entre une image et une autre, qu’elle vienne avant ou après, alors que le cinéma numérique introduit d’autres paramètres comme la spatialité, la simultanéité, la relation entre des couches différentes, la relation entre une image et ses annotations.

Le terme « spatial » réfère à la bidimensionnalité des fenêtres simultanément ouvertes et mises en relation. Il renvoie aussi à l’espace créé par la connexion entre une image et d’autres, issues d’environnements différents sur le web, ce qui métaphoriquement ouvre à la tridimensionnalité.
Les systèmes de montage dominants privilégient le montage temporel sur une timeline sur laquelle ils alignent des éléments de même taille et de mêmes proportions. After Effects, qui est un logiciel de compositing, est par contre centré autour de la notion de canevas sur lequel se superpose un nombre quasi-illimité de couches d’images de tailles et proportions différentes. Le paradigme invoqué est celui de l’animation (où c’est l’espace d’une seule prise de vue qui est monté) plutôt que celui du cinéma traditionnel (qui privilégie la succession de prise de vues).
Dans les pratiques de la vidéo, de ses débuts à la fin des années 1990, la forme de la boucle (looping) a été utilisée comme expérience permettant d’échapper à la culture du spectacle par un flux internalisé faisant du spectateur un enregistreur, à l’instar de la bande magnétique – par exemple, Vito Acconci, Centers (1971), Dara Birbaum, Technology/Transformation : Wonder Woman (1979), Steve McQueen, Prey (1999).

Force est de constater à quel point le montage spatial s’écarte de ce modèle temporel, nous déplaçant vers des expériences topographiques aux temporalités multiples.
La juxtaposition n’est pas simplement le fait de placer une image à côté d’une autre. C’est plutôt la coexistence de différents espaces-temps qui peuvent s’ignorer. Cette simultanéité du proche et du lointain, du lent et du rapide, du même et du différent, ce côtoiement et cette dispersion sont les éléments qui composent la forme du montage spatial et sont au cœur d’une esthétique que nous sommes en train d'explorer.

 

Catherine Beaugrand, mars 2011